Les transferts de
la diaspora : un atout en danger ?
Le Forum francophone
des affaires (FFA) a organisé, hier, un déjeuner-débat sur la contribution
financière des émigrés libanais. À cette occasion, l'économiste Nassib Ghobril
a mis en garde contre les facteurs risquant d'amoindrir l'impact de cet apport essentiel
à l'économie libanaise.
Plusieurs économistes, hommes d'affaires, banquiers et
journaliste ont été réunis, hier, par le comité libanais du Forum francophone
des affaires (FFA) autour d'un déjeuner-débat portant sur la contribution des
émigrés à l'économie libanaise. « Il existe beaucoup de réalités, de
potentiel, mais aussi d'illusions autour de la question d'émigration et de son
apport », a résumé d'emblée Nassib Ghobril, directeur du département de
recherche du groupe Byblos Bank et principal intervenant de la manifestation.
Recul en 2014
« Les transferts d'émigrés, qui représentent près de
15,4 % du PIB, ne sont que la partie visible de l'apport de la diaspora à
l'économie », a ajouté Nassib Ghobril, passant en revue les données
relatives à l'apport économique de la diaspora.
Parmi celles-ci, les transferts annuels ont augmenté de
6,1 milliards de dollars en moyenne entre 2005 et 2009 à 7,2 milliards entre
2010 et 2014. Une croissance qui décélère toutefois nettement, passant d'une
moyenne annuelle de 11 % au cours de la première période à 1,9 %
durant la seconde, a indiqué Nassib Ghobril. Une contraction de 8,5 % a
même été notée en 2014.
En termes absolus, le Liban est le deuxième plus
important destinataire de fonds parmi les pays émergents. Rapportés au PIB, ces
transferts le classent au septième rang parmi les pays dont la richesse
annuelle dépasse les 10 milliards de dollars. Représentant environ 1 642
dollars per capita, ils classent enfin le Liban au premier rang mondial par
rapport au nombre de ses habitants, a ajouté Nassib Ghobril, citant la dernière
étude de l'Observatoire universitaire de la réalité socioéconomique (Ours) de
l'Université Saint-Joseph (USJ).
Selon lui, la libre circulation des capitaux, la solidité
du système bancaire et la politique monétaire de stabilisation du taux de
change ont été à l'origine de la croissance de ces transferts au cours des deux
dernières décennies. « Mais il existe un autre facteur majeur qu'on oublie
parfois de citer : la poursuite de l'émigration », a-t-il ajouté. Il
s'appuie sur les résultats d'une autre enquête de l'Ours publiée en 2009, selon
laquelle 466.000 Libanais auraient émigré entre 1992 et 2007, dont 77 %
ont entre 18 et 35 ans.
« Diaspora imaginaire »
Reste que la taille de la diaspora est parfois exagérée
tandis que la pérennité de son apport à l'économie locale est loin d'être
acquise, a toutefois mis en garde Nassib Ghobril : « Selon certaines
estimations, le nombre de Libanais vivant à l'étranger dépasse 11 millions,
voire 14 millions d'âmes. Mais si nous nous référons aux résultats de
l'étude de l'Ours selon lesquels le montant transféré par émigré s'élève à
5 720 dollars en moyenne, nous déduisons que seuls 1,4 million de
personnes sont réellement encore en contact avec le Liban ; du moins sur le
plan financier. »
En outre, le nombre d'émigrés, et par conséquent le
volume de leurs remises, risquent de s'amenuiser avec les années, faute de
stratégie et de vision gouvernementales pour entretenir ces flux, a-t-il
prévenu. « Les transferts sont généralement au plus haut durant les trois
à cinq premières années qui suivent l'expatriation, avant de reculer par la
suite. » En parallèle, « les émigrés craignent de plus en plus d'être
pris dans les filets du blanchiment d'argent et du terrorisme, ou d'être
accusés d'évasion fiscale, avec l'émergence de nouveaux codes et structures,
telle que la loi américaine Fatca et les mécanismes de surveillance mis en
œuvre dans ce cadre », a-t-il ajouté.
Pour atténuer le risque de recul de cette manne
essentielle pour l'économie libanaise, « l'État devrait prendre une série
de mesures concrètes, et ne pas se limiter à des voyages et à des congrès
largement médiatisés », a-t-il ironisé. « Dans une perspective de
hausse prochaine des taux d'intérêt américains, il faudrait éviter d'augmenter
l'impôt sur l'épargne bancaire, voire le réduire », a notamment préconisé
l'économiste avant d'ajouter : « Le Parlement devrait, en parallèle,
adopter les trois projets de lois qui traînent depuis trois ans sur la lutte
contre les activités illicites, tandis que l'État devrait signer des accords
portant sur la double imposition avec l'ensemble des pays de l'OCDE. »
« La dégradation de l'environnement des affaires au
cours des dernières années a eu raison des investissements directs étrangers,
lesquels ont reculé de 1,8 milliard de dollars en 2009 – soit 5 % du PIB
d'alors –, à 104 millions en 2013, soit 0,2 % du PIB », a en outre
déploré Nassib Ghobril, insistant sur la nécessité d'une amélioration rapide de
la conjoncture politique et sécuritaire. Un autre levier majeur pour favoriser
la croissance de ces transferts consisterait enfin à accorder un plus grand
rôle politique aux émigrés : « Ce n'est pas en traitant la diaspora
comme une caisse d'épargne que nous ferons avancer les choses. »
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