Intervention de SEM. François Barras, Ambassadeur de Suisse au Liban
à l’occasion du déjeuner-débat organisé par
le Comité National Libanais du Forum Francophone des Affaires (FFA)
le mardi 8 juin 2010 à l’hôtel Le Bristol
« La communication en langue française à l’heure de la globalisation :
les exemples du Liban et de la Suisse »
Madame la Présidente,
Messieurs les Ministres,
Chers Collègues,
Excellences,
Chers Amis du Forum Francophone des Affaires,
J’aimerais tout d’abord remercier Reine de m’avoir invité à partager quelques réflexions avec vous sur la communication en langue française, un thème qui me tient particulièrement à cœur. Etant moi-même francophone, amoureux de la langue française, je constate qu’il y a de plus en plus de publicité en anglais au Liban et c’est une chose qui m’interpelle.
J’ai travaillé aux Etats-Unis, au Mexique, en Chine, à Dubaï et c’est la première fois que je suis en mission dans un pays de langue française. Je suis d’un pays où le français est parlé par plus du quart de la population. Etant moi-même très attaché à la langue française, je me réjouissais beaucoup de venir ici. J’ai toujours considéré les Libanais un peu comme nos cousins d’Orient grâce au partage de la langue française.
Mes enfants et nous-mêmes avons toujours eu des amis libanais et je suis arrivé ici en me sentant un peu à la maison. Ce que j’ai vu, c’est un pays où une partie de la population était très attachée à la langue française ; mais j’ai vu aussi les résultats de la globalisation. J’ai vu un pays qui s’éloigne peu à peu de l’Europe pour se rapprocher du Golfe, ce qui est normal pour les questions économiques, et une langue française un peu sur la défensive.
Mon propos sera donc d’engager un débat avec vous en tant qu’ambassadeur d’un pays francophone qui essaie de promouvoir autant que possible notre langue et qui ne parle jamais en anglais sauf si nécessaire. Je vois ici pas mal de gens de la communication et j’aimerais m’adresser à eux : est-ce que cet effort qu’un ambassadeur francophone fait vaut encore la peine dans un pays tel que nous le vivons aujourd’hui ?
Avant d’ouvrir le débat, je vais parler un peu de mon pays et des conséquences de la globalisation sur la pratique du français en Suisse.
Entre 21 et 23% des Suisses parlent le français. C’est un pays plurilingue par excellence. La très grande partie du pays, plus des deux tiers, parle allemand, avec Zurich comme capitale économique. Le français est parlé dans la partie ouest autour de Genève et de Lausanne ; viennent ensuite l’italien, parlé au Sud, et le romanche.
Les relations entre les langues sont gouvernées par un principe très simple, celui de la territorialité, c’est-à-dire que si un Suisse allemand s’établit dans la partie française de la Suisse, il mettra ses enfants dans une école de langue française, ses relations avec l’administration ainsi que la communication se feront en français. Il en est de même pour un Suisse romand qui s’établit en Suisse allemande.
Les frontières entre les langues sont pour ainsi dire restées les mêmes depuis le Xe siècle environ à l’époque de la division entre les Burgondes, le royaume de Bourgogne, et les Alamans. Il y a eu quelques petits changements et quelques villes bilingues. Mais le mythe selon lequel tous les Suisses parlent trois langues n’est pas vrai. Les Suisses parlent leur langue, apprennent la langue de l’autre, mais ceux qui sont parfaitement bilingues ou trilingues sont assez rares.
La globalisation a beaucoup marqué mon pays. On est d’ailleurs considéré comme l’un des pays les plus globalisés du monde. La langue anglaise est de plus en plus présente et le français a tendance à perdre du terrain.
La principale conséquence de tout cela c’est que, de plus en plus, les Suisses communiquent entre eux en anglais. Dans le temps, on apprenait la langue de l’autre ; aujourd’hui dans la plupart des associations faîtières nationales, telles que le Conseil des Médecins ou le Conseil des Professeurs d’université, les gens ont tendance à parler anglais entre eux.
Il existe aussi un autre débat intéressant : quelle est la première langue étrangère qu’on apprend à l’école ? A Zurich par exemple, on a décidé que la première langue étrangère serait l’anglais et non pas le français. Il y a 26 systèmes d’éducation en Suisse ; chaque canton décide de la manière dont il organise son programme scolaire, notamment des langues parlées. En Suisse romande, on est plutôt d’avis que la première langue devrait être la langue de l’autre parce que c’est un moyen non seulement de communiquer mais de connaître l’autre. Les Suisses allemands, plus pragmatiques, pensent que la première langue doit être l’anglais.
On sent une perte d’influence même dans une ville comme Berne qui est notre capitale et où les familles bernoises parlaient français il y a à peine une génération. Désormais, ce n’est plus le cas.
Cela dit, le français en Suisse romande ne recule pas puisque c’est notre première langue. La langue en Suisse est très fortement un facteur d’identité, c’est-à-dire que les Suisses allemands par exemple ne parlent pas le bon allemand mais plutôt des dialectes suisses allemands. En Suisse romande le français est très fort. Donc, il n’y a aucun danger qu’un jour une de nos langues nationales disparaisse. Le seul danger, c’est que cette communication en allemand, en français, en italien laisse peu à peu la place à une communication généralisée en anglais. On le voit au niveau de la publicité. Il y a beaucoup d’entreprises actives dans tout le pays et il est plus facile pour elles de faire une seule publicité en langue anglaise comprise par tout le monde que d’en faire trois : en italien, en français et en allemand.
Au Liban, la situation est assez différente car le français et l’anglais sont des langues secondes pour la majorité des Libanais, la langue première, la langue maternelle, étant l’arabe. Le français est une langue d’éducation, de culture et il y a un lien très fort avec la France. Le français a beaucoup de sens dans ce pays mais il est de plus en plus menacé. En tout cas, l’anglais est devenu la langue de travail et remplace le français là même où il était utilisé comme langue principale il y a à peine 10 ou 15 ans, tel le cas de nombreuses banques et entreprises. La langue de la publicité est aussi devenue l’anglais, mis à part pour quelques-uns comme BHV, Bou Khalil et Aoun. Le comble de tout cela, c’est une grande publicité pour le beurre « Elle & Vire » en plein milieu d’Achrafieh : « The best butter in the world » !!
Au niveau de l’éducation, il est vrai qu’une grande partie des jeunes libanais va encore dans des écoles de langue française. Mais on sent que les parents ont de plus en plus tendance à pousser leurs enfants vers l’anglais en se demandant si cela a toujours un sens d’apprendre le français. Pour certains, cela a un sens car en commençant en français, on s’achemine automatiquement après vers l’anglais et on devient trilingue.
L’anglais est donc devenu la langue du travail, de l’éducation, des affaires, de la communication et même au niveau culturel où le français était pourtant bien présent. La plupart des organisations qui travaillent dans l’international ou dans le domaine arabe font leurs communiqués en arabe et en anglais.
La différence fondamentale entre la Suisse et le Liban, c’est qu’au Liban la langue française est une langue seconde. Chez nous, elle peut avoir perdu de l’importance au niveau national, mais à Genève on parlera toujours français. Au Liban, et c’est là que j’aimerais ouvrir le débat, on peut se demander si le français, qui est tellement ancré dans une partie de la population libanaise, va survivre à tout cela et prospérer. Est-ce qu’il y a un risque qu’un jour le Liban aille dans la même direction que l’Egypte, un pays où vivait, il y a une génération à peine, un nombre important de francophones, du moins chez les élites ? Est-ce que vous estimez que l’effort fait par un ambassadeur francophone pour défendre et essayer de promouvoir la langue française est important, nécessaire ? ou bien y a-t-il d’autres priorités plus essentielles ?
Au niveau de la communication en langue française, notamment la publicité, y a-t-il un moyen de votre part de soutenir ceux qui font encore de la publicité en français ? Pourquoi ne fait-on pas un concours de la publicité en français pour récompenser les quelques-uns qui le font encore ? Ce qui me frappe, c’est que tous les publicitaires libanais passent à l’anglais alors que la plupart d’entre eux est à 100% francophone.
Ma question finale sera : est-ce que c’est une fatalité, est-ce que cette prédominance, cette omniprésence de l’anglais a une influence sur la pratique du français ?
J’aime beaucoup le Liban et je m’adresse à vous en amoureux de la langue française.
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